From my window in Paris, summer 2022.

[English below]

Même décor.  C’est l’été. La lumière est filtrée par de lourds rideaux rouges. Les examinateurs s’éventent de temps en temps. Une Africaine longiligne s’approche de la table. Elle est vêtue d’un long voile noir qui la couvre jusqu’à ses pieds chaussés de tongs. Sous le voile noir, un autre plus clair enserre son visage très fin. Elle tient un nourrisson dans ses bras et, de temps en temps, entrebâille son voile pour lui donner le sein. Malika vient de Mauritanie.

Malika : – L’avocat, j’appelle, il répond pas. C’est dans douze jours, la CNDA* (Cour nationale du droit d’asile), je sais pas quoi faire.

Les examinateurs  en duo : – Il faut qu’on regarde ensemble la décision de rejet de l’OFPRA* (Office français des réfugiés et apatrides). (Ils lisent). Ils ne vous ont pas crue quand vous avez déclaré que vous avez subi un mariage forcé. Ils n’ont pas cru aux violences de votre mari. Ils croient plutôt que vous êtes partie parce qu’il a pris une seconde épouse. Ils rejettent tout ce que vous avez dit.

Malika : – Mais j’ai dit la vérité !

L’examinateur : – Quand votre père vous a annoncé que vous alliez être mariée avec votre cousin Suleiman, qu’est-ce que vous avez dit ? Comment vous avez réagi ?

Malika : – J’ai rien dit. La fille doit obéir. Une fille qui n’obéit pas, c’est le déshonneur. Le mariage, c’était décidé depuis que j’avais 5 ans. Mon père et mon oncle étaient d’accord.

L’examinateur : – Pourquoi vous ne vouliez pas épouser votre cousin Suleiman ?

Malika : – J’ai jamais voulu. Il fait rien, on l’envoie chercher du bois pour la cuisine, c’est tout. Il n’est pas beau, je l’aime pas, je l’ai jamais aimé.

L’examinateur :  – Il est plus vieux que vous ?

Malika : – Un peu. Dix, douze ans, je crois. Il sait pas lire. Il ne sait rien, il gagne pas d’argent, les autres cousins, ils font du commerce, lui rien, il est juste là à rien faire, c’est les autres qui rapportent l’argent.

L’examinateur : – Avant votre mariage, vous alliez à l’école ?

Malika : – Oui, j’ai fini la primaire. Après, je voulais étudier pour être infirmière ou aide-soignante.

L’examinateur : – Votre mari ne vous a pas permis de continuer ?

Malika : – Quand on se marie, on quitte l’école. Mais c’est pas lui qui commande, c’est sa maman. Elle me déteste.

L’examinatrice : – A l’OFPRA, on vous a demandé de décrire la cérémonie de mariage et de raconter ce qui s’est passé après. Vous n’avez rien répondu.

Malika : – Il y a pas eu de cérémonie. On m’a lavée, habillée et on m’a mis un tissu blanc sur la figure, devant les yeux, je voyais rien. Et puis, on m’a poussée dans une petite maison que je connaissais pas. Il y avait une seule chambre. On reste enfermés. Tous les deux ensemble. On n’a pas le droit de sortir. Il y a une vieille qui surveille. Elle met la nourriture devant la porte. On sort seulement quand il y a la tache de sang sur le linge blanc.

L’examinatrice : – Votre mari a été brutal ?

Malika : – Pas brutal, il voulait pas me faire du mal. Il m’aimait, moi, je l’aime pas. Je lui ai dit depuis le début. Chaque fois qu’il approchait de moi sur le lit, je me levais et j’allais dans l’autre coin.

L’examinateur : – Comment ça se passe si le tissu n’est pas rouge. ?

Malika : – C’est le déshonneur. Après huit jours, des femmes entrent dans la chambre, elles t’attachent les mains et les pieds au lit. Comme ça (elle écarte les bras), les jambes sont écartées, alors elles coupent avec un rasoir. (Les deux examinateurs se regardent. Long silence.)

L’examinatrice : – Vous avez subi ça ?

Malika : – Non, après cinq jours, on l’a fait. On a décidé tous les deux. Pour ne pas avoir le déshonneur.

L’examinateur (d’une voix assourdie) : – Et après ? À l’OFPRA, on vous a demandé comment ça s’est passé après et vous n’avez rien répondu.

Malika : – C’est difficile à répondre. L’interprète, c’était un homme, j’arrivais pas à expliquer. Après, j’entre dans la maison de mon mari et là, tout de suite, il me pousse et il m’enferme dans une chambre. Pendant un mois, j’ai pas le droit de sortir. Jamais. Même pas dans la cour. Je mange dans la chambre.

L’examinatrice : – Lui, il a le droit de sortir ?

Malika : – Lui, il vient, il me force, il sort. Tous les jours, le matin et le soir, quand il a envie.

L’examinatrice : – Vous étiez juste un objet sexuel, c’est ça ? (Malika ne comprend pas bien. Elle donne le sein à son bébé.)

Malika : – Après, j’étais enceinte.

L’examinatrice : – On voit dans le dossier que votre premier enfant est né 10 mois après votre mariage et le deuxième plusieurs années plus tard. 2010 et 2016. Six ans. C’est beaucoup. Vous preniez la pilule ?

Malika : – Au village, il y a pas de pilules.  Une vieille m’a donné une soupe. J’ai pris la soupe tous les soirs avant d’aller au lit. La casserole était cachée sous le lit.

L’examinatrice :  – Vous avez fait des fausses couches ? (Silence. Malika ne comprend pas bien.) Vous avez perdu des bébés que vous attendiez ?

Malika : – Non, rien, il y a rien eu de spécial… Une fois.

L’examinateur : – À l’OFPRA, vous avez dit que votre mari était violent avec vous, qu’il vous battait. Ils trouvent que vos réponses sont vagues et confuses. Il vous battait ? Comment ça se passait ?

Malika : – Il y avait toujours des disputes. Je devais remonter 3 seaux d’eau pour la mère de mon mari et aussi pour ses deux sœurs. Moi, j’ai dit oui pour la maman, c’était obligé, mais non aux sœurs. J’ai dit je laverai jamais le linge de mon mari. Jamais ! Alors la maman disait à mon mari, il faut la corriger. Il me battait un peu, il faisait pas trop mal. Un jour, il a trouvé la casserole sous le lit. Là, il m’a vraiment battue, fort et devant tout le monde. Il m’a attachée comme ça et il a frappé avec un gros cordage. Comme ça ! (Elle montre ses épaules, son dos, ses cuisses.)

L’examinatrice :  – Pourquoi vous ne vouliez pas d’enfants ?

Malika : – Pour la répudiation. Si t’as pas d’enfants, le mari te répudie. C’est le seul moyen de sortir de la maison. Mais après, quand il a vu la soupe sous le lit, il m’a battue terriblement après, il m’a enfermée tout un mois, j’étais malade, il m’a forcée tous les jours en me battant. Et là, j’ai été enceinte.

L’examinatrice : – Vous aimiez quelqu’un d’autre ?

Malika : – Oui, un peu, un peu, il y avait un garçon, on s’est vus au marché, il m’envoyait des messages et des photos sur Facebook.

L’examinateur : – Vous avez décidé de vous enfuir à cause de ce jeune homme ?

Malika  : – Non, après, après. (Elle rit). C’est quand mon mari a pris une deuxième femme. J’étais pas jalouse, je voulais juste partir. Depuis le début, je voulais partir.

L’examinateur : – Vous avez dû laisser vos deux enfants derrière vous. C’était une décision difficile ?

Malika : – J’avais pas le choix. Il fallait partir. Autrement, j’allais mourir.

L’examinateur : – Vous avez des nouvelles des enfants ?

Malika : – Un peu. Je parle avec ma mère. Ils vont bien.

L’examinateur : – Vous venez d’avoir un nouveau bébé. Le papa, vous l’aimez ?

Malika : – Oh oui ! Il est très gentil.

L’examinateur : – C’est vous qui l’avez choisi ? Comment l’avez-vous rencontré ?

Malika : – On s’est rencontrés dans un camp en Italie, on s’est aimés tout de suite.

Les examinateurs, en duo : – On va préparer une lettre que vous donnerez à votre avocat. Il faudrait qu’il change ses arguments pour mieux vous défendre. Votre mari vous aimait et n’a jamais voulu vous faire vraiment de mal. Vous n’êtes pas partie à cause des violences. Depuis le premier jour, vous lui avez dit que vous ne l’aimiez pas, vous avez refusé de laver son linge, c’est très symbolique, et vous avez refusé de lui donner des enfants en espérant être répudiée, c’est le plus important.

Malika : – Mais qu’est-ce qu’il faut dire au tribunal ?

L’examinateur : – Dites la vérité. Mon mari n’était pas méchant mais je ne voulais pas vivre comme une esclave, je voulais être libre.

L’examinatrice : – Vous ne vouliez pas être violée chaque jour, vous ne vouliez pas être obligée de faire des enfants, vous ne vouliez pas être l’esclave de votre belle-famille.

L’examinateur : – Vous êtes venue en bateau par la Libye ?

Malika : – Avec le Zodiac. J’ai eu très peur. Il y a des enfants qui sont tombés dans l’eau. Après, sur le bateau italien, ça allait. Vous croyez que je vais avoir des papiers ?

L’examinatrice : – Avec un peu de chance, la CNDA comprendra que vous ne vouliez pas rester dans l’esclavage.


Weekly reception 8. Malika.

Same setting. It’s summer. The light is filtered through heavy red curtains. The examiners fan themselves from time to time. A lanky African woman approaches the table. She is dressed in a long black veil that covers her down to her feet. She is wearing flip–flops. Beneath the black veil, another ligt–coloured one encircles her thin face. She is holding an infant to her chest and, from time to time, opens her veil to give it her breast. Malika is from Mauritania.

Malika: – I call the lawyer, but he doesn’t answer. It’s in twelve days, the CNDA* (National Asylum Court), I don’t know what to do.

The examiners in duet: – We need to look at the OFPRA* (French Office for Refugees and Stateless Persons) rejection decision together. (They read). The OFPRA officer did not believe you when you said you had been subjected to a forced marriage. He didn’t believe that your husband was violent. Instead, OFPRA suggests that you left because he took a second wife. OFPRA does’nt believe what you said.

Malika: – But I told the truth!

Man examiner: – When your father told you that you were going to be married to your cousin Soleman, what did you say? How did you react?

Malika: – I didn’t say nothing. A daughter must obey. A girl who doesn’t obey, the family is dishonoured. My marriage was planned since I was 5. My father and my uncle agreed.

Man examiner: – Why didn’t you want to marry your cousin Soleman?

Malika: – I never wanted to. He doesn’t do anything, we just send him out to fetch wood for the kitchen, that’s all. He’s not handsome, I don’t like him, I’ve never liked him.

Man examiner: – Is he older than you?

Malika: – A bit. Ten, twelve years, maybe. He can’t read. He doesn’t know anything, he doesn’t earn any money, the other cousins do business, he doesn’t do anything, he’s just there doing nothing, it’s the others who make the money.

Man examiner: – Before you got married, did you go to school?

Malika: – Yes, I finished primary school. After that, I wanted to study to be a nurse or care assistant.

Man examiner: – Didn’t your husband allow you to continue?

Malika: – When you get married, you leave school. But he’s not in charge, his mum is. She hates me.

Woman examiner: – At OFPRA, you were asked to describe the wedding ceremony and what happened afterwards. You gave no answer.

Malika: – There was no ceremony. They washed me, dressed me and put a white cloth over my face, over my eyes, I couldn’t see a thing. Then I was pushed into a little house I didn’t know. There was only one room. We were locked in. The two of us together. We weren’t allowed out. There’s an old woman watching. She leaves the food outside the door. We only get out when there’s a bloodstain on the white linen.

Woman examiner: – Was your husband brutal?

Malika: – He wasn’t brutal, he didn’t want to hurt me. He loved me, but I don’t love him. I told him from the start. Every time he came near me on the bed, I got up and went to another corner.

Woman examiner: – What happens if the fabric isn’t red?

Malika: – It’s dishonour. After eight days, some women come into the room and tie hands and feet of the girl to the bed. Like this (she spreads her arms), the legs are spread, so they cut you with a razor. (The two examiners look at each other. Long silence.)

Woman examiner: – Did you go through this?

Malika: – No, after five days, we did it. We both decided. So as not to be dishonoured.

Man examiner (in a muffled voice): –And then what? OFPRA asked you what happened afterwards and you didn’t say.

Malika: – It was difficult to answer. The interpreter was a man, so I couldn’t explain. Afterwards, I went into my husband’s house and he immediately pushed me out of the way and locked me in a room. I wasn’t allowed out for a month. I was never allowed out. Not even in the courtyard. I eat in the room.

Man examiner: – Was he allowed to go out?

Malika: – He comes, he forces me, he goes out. Every day, in the morning and in the evening, whenever he feels like it.

Woman examiner: – You were just a sex object, weren’t you? (Malika doesn’t quite understand. She’s breastfeeding her baby.)

Malika: – Then I got pregnant.

Woman examiner: – The file shows that your first child was born 10 months after your marriage and the second several years later. 2010 and 2016. That’s six years. That’s a long time. Were you on the pill?

Malika: – There’nt no pills in the village. An old woman provided me a soup. I took the soup every night before going to bed. It was hidden under the bed.

Woman examiner: – Have you had any miscarriages? (Silence. Malika doesn’t quite understand.) Have you lost a baby when you were expecting?

Malika: – No, nothing special… Once.

Man examiner: – At OFPRA, you said that your husband was violent with you, that he beat you. They found your answers vague and confused. He beat you? How did that work?

Malika: – There were always arguments. I had to fetch 3 buckets of water for my husband’s mother and also for his two sisters. I said yes for the mum, it was a must, but no to the sisters. I said I would never wash my husband’s laundry. I’d never do it! So his mum said to my husband “you’ve got to straighten her out”. He beat me a bit, but it didn’t hurt too much. One day, he found the soup pot under the bed. That’s when he really beat me, hard and in front of everyone. He tied me up like this and hit me with a big rope. Like this! (She shows her shoulders, back and thighs).

Woman examiner: – Why didn’t you want children?

Malika : – For repudiation. If you don’t have children, your husband will repudiate you. It’s the only way to get out. But after he saw the soup under the bed, I was locked up for a whole month, I was ill, he forced me every day by beating me and then I got pregnant.

Woman examiner: – Did you like anyone else?

Malika: – Yes, a little, a little, there was a boy, we saw each other at the market, he was sending me messages and photos on Facebook.

Man examiner: – Did you decide to run away because of this young man?

Malika: – No, later, later. (She laughs). It was when my husband took a second wife. I wasn’t jealous, I just wanted to leave. I wanted to leave from the start.

Man examiner: – You had to leave your two children behind. Was that a difficult decision?

Malika: – I had no choice. I had to leave. Otherwise, I am going to die.

Man examiner: – Have you heard anything about the children ?

Malika: – A bit. I’m talking to my mother. They’re ok.

Man examiner: – You’ve just had a new baby. Do you like its dad?

Malika: – Oh yes, he’s very nice.

Man examiner: – Did you choose him? How did you meet him?

Malika: – We met in a camp in Italy and fell in love straight away.

The examiners, in duet: – We’re going to prepare a letter for you to give to your lawyer. He needs to change his arguments to defend you better. Your husband loved you and never really wanted to hurt you. Violence is not why you left. From day one, you told him that you didn’t love him, you refused to wash his clothes – that’s very symbolic – and you refused to give him children in the hope of being repudiated – that’s the most important thing.

Malika: – But what do you tell the court?

Man examiner: – Tell the truth. My husband wasn’t a bad man, but I didn’t want to live like a slave, I wanted to be free.

Woman examiner: – You didn’t want to be raped every day, you didn’t want to be forced to have children, you didn’t want to be your in–laws’ slave.

Man examiner: – You came by boat from Libya?

Malika: – The Zodiac. I was very scared. Some children fell in the water. After that, it was fine on the Italian boat. Do you think I’ll get permit?

Woman examiner: – With a bit of luck, the court will understand that you didn’t want to remain in slavery.

First published August 2022.