Posted by Anne Brunswic
This is not a wall
published on : May 21, 2025
[English below]
CECI N’EST PAS UN MUR. La chose tient de la Grande Muraille de Chine, de l’enceinte d’une villa dans la jungle, du jeu de Lego. Il est devenu un terrain de jeu pour street-artist.
THIS IS NOT A WALL. It’s something like the Great Wall of China, the walls of a villa in the jungle, or a Lego game. It has become a playground for street artists.
First published in 2021. New edition.
From my window
published on : April 1, 2025



De ma fenêtre
Les premières photos de mes fenêtres datent du début du confinement, avril 2020, qui fut aussi le début de l’aventure collective de The Crown Letter. Cinq ans ont passé. Des centaines d’événements ont été qualifiés d’historiques. L’histoire en retiendra-t-elle quelque chose ? Vu de ma fenêtre, le ciel paraît aujourd’hui gros de nuages très noirs. Des calamités en tout genre s’annoncent. En remontant le temps, cette page témoigne d’événements dont certains seront peut-être jugés mineurs mais qui m’ont personnellement touchée voire bouleversée, parmi eux le grand enfermement du Covid, le soulèvement démocratique des Biélorusses, la persécution de Julian Assange, la condamnation à 15 ans de détention à régime sévère d’un ami russe militant de la mémoire des victimes du stalinisme, Iouri Dmitrievitch, les centaines de milliers d’exilés venus frapper aux portes barricadées de notre continent, le basculement de l’Argentine dans l’ère de la tronçonneuse, l’agression militaire de l’Ukraine et, pire que cette guerre menée par un empire sur le déclin, l’anéantissement méthodique de tout le peuple palestinien par un État se proclamant juif qui m’est familier depuis l’enfance pour avoir incarné l’idéal de beaucoup de mes proches et m’inspire aujourd’hui une horreur mêlée de honte.
Cette page témoigne de ma petite histoire percutée par la grande. Je n’ai cessé de regardé au dehors. La restauration complète de la façade sur cour sera bientôt achevée. Douze étages de 30 mètres de large représentent une surface conséquente que je n’ai pas calculée. Les ouvriers sont tous originaires du Maghreb ou d’Afrique francophone. Ils ont beaucoup peiné cet hiver sur leur échafaudage exposé au vent glacial. Le printemps est enfin arrivé et le ramadan a fini dimanche. Cet après-midi, je leur ai servi un café chaud et bien sucré. Ils ont souri comme si le monde tournait rond.
From my window
The first photos of my windows date from the beginning of the lock-down, April 2020, which was also the beginning of the collective adventure of The Crown Letter. Five years have passed. Hundreds of events have been named as historic. Will history remember anything of it?
Seen from my window, the sky today looks heavy with dark clouds. Calamities of all kinds are on the horizon.
Turning back time, this page bears witness to events, some of which may be considered minor, but which have touched me personally, even shaken me, including the great lockdown of Covid, the democratic uprising in Belarus, the persecution of Julian Assange and the sentencing to 15 years’ harsh imprisonment of a Russian friend and campaigner for the memory of the victims of Stalinism, Yuri Dmitrievich, the hundreds of thousands of exiles who have come to knock on the barricaded doors of our continent, the tipping of Argentina into the era of the chainsaw, the military aggression against Ukraine. And, worse than this war waged by an empire in decline, the methodical annihilation of the entire Palestinian people by a state proclaiming itself to be Jewish, this state having been familiar to me since childhood, having embodied the ideals of many of my relatives, and which today fills me with a horror mingled with shame.
This page bears witness to my own little history, in collisions with the large. I’ve never stopped looking outside.
The complete restoration of our courtyard façade will soon be complete. Twelve 30 metre wide storeys represent a substantial surface area, of which I haven’t calculated. The workers are all from North Africa or French-speaking Africa. They struggled a lot this winter on their scaffolding exposed to the icy wind. Spring has finally arrived and Ramadan ended last Sunday. This afternoon, I served them a hot, sweet coffee. They smiled as if the world were turning round.
Does seeing make a difference ?
published on : February 10, 2025
[English below]
Le choc des images ?
Printemps 1945. L’armée américaine force les civils allemands à défiler devant des milliers de cadavres suppliciés. Les soldats veillent à ce que les vaincus constatent de leurs propres yeux les crimes dont ils prétendent n’avoir jamais rien su. Les files sont interminables. On passe la mine fermée, la tête basse. On se bouche le nez, on tente de se cacher le visage, on se retient de vomir. Ni cris d’effroi, ni larmes, le silence est terrible. Il n’y a là que des vieillards, des femmes et des enfants. Les hommes et les adolescents sont tous prisonniers de guerre. Quelques semaines plus tard, l’armée d’occupation organise partout dans les villes, les villages et les camps de prisonniers des séances de cinéma obligatoires. On montre à l’écran des monceaux de corps décharnés retournés par des pelleteuses. La salle, où veillent des sentinelles américaines, reste assez éclairée pour surveiller les spectateurs qui tentent de se boucher les yeux. Le commentaire détaille des atrocités inouïes. Les Américains espèrent par cet électrochoc extirper le venin nazi de millions de cervelles.
La suite a démontré leur naïveté. Ce genre de venin n’est guère sensible aux images.
Les quinze mois qui viennent de s’écouler à Gaza nous ont montré que, même diffusées en direct, les images n’empêchent plus rien.
Does seeing make a difference?
Spring 1945. The American army forced German civilians to march past thousands of tortured corpses. The soldiers made sure that the defeated saw with their own eyes the crimes they claimed to have never known about. The queues were endless. People walked past with their faces closed and their heads down. They held their noses, tried to hide their faces and held back from vomiting. No cries of horror, no tears, the silence was dreadful. There were only old people, women and children. The men and teenagers were prisoners of war. A few weeks later, the occupying army organized compulsory cinema screenings throughout the towns, villages and prison camps. The screen showed piles of corpses turned over by diggers. The theatre, manned by American sentries, remained bright enough to keep an eye on the spectators, who tried to cover their eyes. The commentary detailed unimaginable atrocities. The Americans hoped this electroshock would extract the Nazi venom from millions of brains.
They proved to be naive. This kind of venom is hardly affected by images.
The last fifteen months in Gaza have shown us that, even when broadcast live, images no longer prevent anything.
Marketing Hope
published on : January 7, 2025
Beware of security / Gare à la sécurité
published on : November 24, 2024
[English translation below]
Gare à la sécurité. C’est une pièce à deux faces, voire trois.
Côté pile. Quel beau programme ! Sécurité sociale universelle. Car de l’insécurité, je, tu, il, elle souffre et souvent meurt. La femme, l’enfant, l’infirme, l’ouvrier, l’immigrant, le civil exposé à la terreur qui tue, affame, empoisonne, ensevelit, tous réclament la sécurité. Tous ont soif de sécurité. Personne ne peut se coucher avec la certitude qu’il sera vivant demain, écrit un chroniqueur de Gaza.
Côté face. La citadelle assiégée ou son modèle réduit, la villa dans la jungle a pour premier, second et troisième souci leur propre sécurité. La villa exige de hauts grillages, jamais assez hauts. Mieux, elle doit dissuader les assaillants qui se dissimulent parmi les fourrés et les hautes branches. La sécurité des uns exige la mise en cage des autres, voire leur extermination. En hébreu, « sécurité » se dit « bitakhon ». « Barrière de sécurité » se dit en arabe « mur de l’apartheid ». A mes oreilles, les trois syllabes bi-ta-khon crachées par un bonhomme vert dans un mégaphone sonnent comme l’ouverture de la chasse.
La sécurité pour tous, grands et petits, porte un nom, la paix dans le droit, dans la justice. Cette paix-là, le fort l’écarte avec dédain. Il n’aura jamais assez de garanties, d’assurances, dit-il. Le vrai : il n’entend pas donner de garanties au faible. Pas question de poser des bornes à sa puissance. « J’ai bien le droit », dit-il, au mépris du droit.
La sécurité des uns n’est pas celle des autres. Étendard de la réaction. Tenants de l’ordre établi contre subversifs. Sécurité des investissements, sécurité du propriétaire, sécurité des institutions. Caméras de sécurité, agents de sécurité, prisons de haute sécurité, forces de l’ordre, murailles et barbelés, patrouilles en mer. A ce jeu, le dictateur a toujours une longueur d’avance. Il fait mieux qu’assurer la sécurité, il l’impose. A son bénéfice exclusif.
Il y aurait une fois. Sécurité de la rue qu’on emprunte à la nuit tombée, de la route qu’on traverse, de ce qu’on mange, boit, respire. Sécurité de la terre nourricière. Sécurité pour ceux qui ont soif, qui ont faim, qui vivent dans des logements insalubres ou pas de logement du tout, qui traversent les mers et les continents.
Et puis la sécurité des paroles que l’on confie, des bras où l’on se blottit.
Beware of security. It’s a two-sided, or even a three-sided coin.
Tails side. What a great programme! Universal social security. Because of insecurity, I, you, he, she suffers and often dies. Women, children, the disabled, workers, immigrants, civilians exposed to the terror that kills, starves, poisons and buries – they all want security. They all thirst for security. No one can go to bed with the certainty that they will be alive in the morning’, writes a Gaza columnist.
The opposite side. The first, second and third concern of the besieged citadel or its reduced model, the villa in the jungle, is its own safety. The villa requires high fences, never high enough. Better yet, it must dissuade attackers who hide among the thickets and high branches. The security of some requires the caging of others, even their extermination. In Hebrew, ‘security’ is called ‘bitakhon’. ‘Security fence’ is Arabic for “apartheid wall”. To my ears, the three syllables bi-ta-khon shouted by a green man into a megaphone sound like the opening of the hunt.
Security for all, young and old, has a name: peace based on law and justice. The strong dismiss this peace with disdain. He’ll never have enough guarantees, enough assurances, he says. The truth is that he has no intention of giving guarantees to the weak. There is no intention of placing limits on his power. ‘I have the right’, he says, in defiance of the law.
The security of some is not the security of others. Standard of reaction. Defenders of the established order versus the subversive. Investment security, owner security, institutional security. Security cameras, security guards, high-security prisons, forces of law and order, walls and barbed wire, patrols at sea. At this game, the dictator is always one step ahead. He does more than ensure security, he imposes it. To his exclusive benefit.
There would be a time. Security of the street you walk down at nightfall, of the road you cross, of what you eat, drink and breathe. Security in the soil that nourishes us all. Security for those who are thirsty, hungry, living in substandard housing or no housing at all, for those who cross seas and continents.
And then the security of the words we confide, the arms in which we cuddle.
Gare à la sécurité. C’est une pièce à deux faces, voire trois.
Côté pile. Quel beau programme ! Sécurité sociale universelle. Car de l’insécurité, je, tu, il, elle souffre et souvent meurt. La femme, l’enfant, l’infirme, l’ouvrier, l’immigrant, le civil exposé à la terreur qui tue, affame, empoisonne, ensevelit, tous réclament la sécurité. Tous ont soif de sécurité. Personne ne peut se coucher avec la certitude qu’il sera vivant demain, écrit un chroniqueur de Gaza.
Côté face. La citadelle assiégée ou son modèle réduit, la villa dans la jungle a pour premier, second et troisième souci leur propre sécurité. La villa exige de hauts grillages, jamais assez hauts. Mieux, elle doit dissuader les assaillants qui se dissimulent parmi les fourrés et les hautes branches. La sécurité des uns exige la mise en cage des autres, voire leur extermination. En hébreu, « sécurité » se dit « bitakhon ». « Barrière de sécurité » se dit en arabe « mur de l’apartheid ». A mes oreilles, les trois syllabes bi-ta-khon crachées par un bonhomme vert dans un mégaphone sonnent comme l’ouverture de la chasse.
La sécurité pour tous, grands et petits, porte un nom, la paix dans le droit, dans la justice. Cette paix-là, le fort l’écarte avec dédain. Il n’aura jamais assez de garanties, d’assurances, dit-il. Le vrai : il n’entend pas donner de garanties au faible. Pas question de poser des bornes à sa puissance. « J’ai bien le droit », dit-il, au mépris du droit.
La sécurité des uns n’est pas celle des autres. Étendard de la réaction. Tenants de l’ordre établi contre subversifs. Sécurité des investissements, sécurité du propriétaire, sécurité des institutions. Caméras de sécurité, agents de sécurité, prisons de haute sécurité, forces de l’ordre, murailles et barbelés, patrouilles en mer. A ce jeu, le dictateur a toujours une longueur d’avance. Il fait mieux qu’assurer la sécurité, il l’impose. A son bénéfice exclusif.
Il y aurait une fois. Sécurité de la rue qu’on emprunte à la nuit tombée, de la route qu’on traverse, de ce qu’on mange, boit, respire. Sécurité de la terre nourricière. Sécurité pour ceux qui ont soif, qui ont faim, qui vivent dans des logements insalubres ou pas de logement du tout, qui traversent les mers et les continents.
Et puis la sécurité des paroles que l’on confie, des bras où l’on se blottit.
Biography
Anne Brunswic is a French author whose work encompasses various forms of expression: journalism, non-fiction literature, documentary film, radio creative production and photography. She spent a long time in the occupied territories of Palestine, in Siberia and the far north of Russia. She has a long-standing commitment to the voiceless and the rightsless. Just published “Women in gulag” in Kometa review. Online now a 5 episodes podcast on Radio Suisse romande, Histoire vivante (in French) about the unknown Argentine soldiers of Falklands/Malvinas war. annebrunswic.fr