Posted by Anne Brunswic
La permanence (8)
published on : June 3, 2025
[English below]
Même décor. C’est l’été. La lumière est filtrée par de lourds rideaux rouges. Les examinateurs s’éventent de temps en temps. Une Africaine longiligne s’approche de la table. Elle est vêtue d’un long voile noir qui la couvre jusqu’à ses pieds chaussés de tongs. Sous le voile noir, un autre plus clair enserre son visage très fin. Elle tient un nourrisson dans ses bras et, de temps en temps, entrebâille son voile pour lui donner le sein. Malika vient de Mauritanie.
Malika : – L’avocat, j’appelle, il répond pas. C’est dans douze jours, la CNDA* (Cour nationale du droit d’asile), je sais pas quoi faire.
Les examinateurs en duo : – Il faut qu’on regarde ensemble la décision de rejet de l’OFPRA* (Office français des réfugiés et apatrides). (Ils lisent). Ils ne vous ont pas crue quand vous avez déclaré que vous avez subi un mariage forcé. Ils n’ont pas cru aux violences de votre mari. Ils croient plutôt que vous êtes partie parce qu’il a pris une seconde épouse. Ils rejettent tout ce que vous avez dit.
Malika : – Mais j’ai dit la vérité !
L’examinateur : – Quand votre père vous a annoncé que vous alliez être mariée avec votre cousin Suleiman, qu’est-ce que vous avez dit ? Comment vous avez réagi ?
Malika : – J’ai rien dit. La fille doit obéir. Une fille qui n’obéit pas, c’est le déshonneur. Le mariage, c’était décidé depuis que j’avais 5 ans. Mon père et mon oncle étaient d’accord.
L’examinateur : – Pourquoi vous ne vouliez pas épouser votre cousin Suleiman ?
Malika : – J’ai jamais voulu. Il fait rien, on l’envoie chercher du bois pour la cuisine, c’est tout. Il n’est pas beau, je l’aime pas, je l’ai jamais aimé.
L’examinateur : – Il est plus vieux que vous ?
Malika : – Un peu. Dix, douze ans, je crois. Il sait pas lire. Il ne sait rien, il gagne pas d’argent, les autres cousins, ils font du commerce, lui rien, il est juste là à rien faire, c’est les autres qui rapportent l’argent.
L’examinateur : – Avant votre mariage, vous alliez à l’école ?
Malika : – Oui, j’ai fini la primaire. Après, je voulais étudier pour être infirmière ou aide-soignante.
L’examinateur : – Votre mari ne vous a pas permis de continuer ?
Malika : – Quand on se marie, on quitte l’école. Mais c’est pas lui qui commande, c’est sa maman. Elle me déteste.
L’examinatrice : – A l’OFPRA, on vous a demandé de décrire la cérémonie de mariage et de raconter ce qui s’est passé après. Vous n’avez rien répondu.
Malika : – Il y a pas eu de cérémonie. On m’a lavée, habillée et on m’a mis un tissu blanc sur la figure, devant les yeux, je voyais rien. Et puis, on m’a poussée dans une petite maison que je connaissais pas. Il y avait une seule chambre. On reste enfermés. Tous les deux ensemble. On n’a pas le droit de sortir. Il y a une vieille qui surveille. Elle met la nourriture devant la porte. On sort seulement quand il y a la tache de sang sur le linge blanc.
L’examinatrice : – Votre mari a été brutal ?
Malika : – Pas brutal, il voulait pas me faire du mal. Il m’aimait, moi, je l’aime pas. Je lui ai dit depuis le début. Chaque fois qu’il approchait de moi sur le lit, je me levais et j’allais dans l’autre coin.
L’examinateur : – Comment ça se passe si le tissu n’est pas rouge. ?
Malika : – C’est le déshonneur. Après huit jours, des femmes entrent dans la chambre, elles t’attachent les mains et les pieds au lit. Comme ça (elle écarte les bras), les jambes sont écartées, alors elles coupent avec un rasoir. (Les deux examinateurs se regardent. Long silence.)
L’examinatrice : – Vous avez subi ça ?
Malika : – Non, après cinq jours, on l’a fait. On a décidé tous les deux. Pour ne pas avoir le déshonneur.
L’examinateur (d’une voix assourdie) : – Et après ? À l’OFPRA, on vous a demandé comment ça s’est passé après et vous n’avez rien répondu.
Malika : – C’est difficile à répondre. L’interprète, c’était un homme, j’arrivais pas à expliquer. Après, j’entre dans la maison de mon mari et là, tout de suite, il me pousse et il m’enferme dans une chambre. Pendant un mois, j’ai pas le droit de sortir. Jamais. Même pas dans la cour. Je mange dans la chambre.
L’examinatrice : – Lui, il a le droit de sortir ?
Malika : – Lui, il vient, il me force, il sort. Tous les jours, le matin et le soir, quand il a envie.
L’examinatrice : – Vous étiez juste un objet sexuel, c’est ça ? (Malika ne comprend pas bien. Elle donne le sein à son bébé.)
Malika : – Après, j’étais enceinte.
L’examinatrice : – On voit dans le dossier que votre premier enfant est né 10 mois après votre mariage et le deuxième plusieurs années plus tard. 2010 et 2016. Six ans. C’est beaucoup. Vous preniez la pilule ?
Malika : – Au village, il y a pas de pilules. Une vieille m’a donné une soupe. J’ai pris la soupe tous les soirs avant d’aller au lit. La casserole était cachée sous le lit.
L’examinatrice : – Vous avez fait des fausses couches ? (Silence. Malika ne comprend pas bien.) Vous avez perdu des bébés que vous attendiez ?
Malika : – Non, rien, il y a rien eu de spécial… Une fois.
L’examinateur : – À l’OFPRA, vous avez dit que votre mari était violent avec vous, qu’il vous battait. Ils trouvent que vos réponses sont vagues et confuses. Il vous battait ? Comment ça se passait ?
Malika : – Il y avait toujours des disputes. Je devais remonter 3 seaux d’eau pour la mère de mon mari et aussi pour ses deux sœurs. Moi, j’ai dit oui pour la maman, c’était obligé, mais non aux sœurs. J’ai dit je laverai jamais le linge de mon mari. Jamais ! Alors la maman disait à mon mari, il faut la corriger. Il me battait un peu, il faisait pas trop mal. Un jour, il a trouvé la casserole sous le lit. Là, il m’a vraiment battue, fort et devant tout le monde. Il m’a attachée comme ça et il a frappé avec un gros cordage. Comme ça ! (Elle montre ses épaules, son dos, ses cuisses.)
L’examinatrice : – Pourquoi vous ne vouliez pas d’enfants ?
Malika : – Pour la répudiation. Si t’as pas d’enfants, le mari te répudie. C’est le seul moyen de sortir de la maison. Mais après, quand il a vu la soupe sous le lit, il m’a battue terriblement après, il m’a enfermée tout un mois, j’étais malade, il m’a forcée tous les jours en me battant. Et là, j’ai été enceinte.
L’examinatrice : – Vous aimiez quelqu’un d’autre ?
Malika : – Oui, un peu, un peu, il y avait un garçon, on s’est vus au marché, il m’envoyait des messages et des photos sur Facebook.
L’examinateur : – Vous avez décidé de vous enfuir à cause de ce jeune homme ?
Malika : – Non, après, après. (Elle rit). C’est quand mon mari a pris une deuxième femme. J’étais pas jalouse, je voulais juste partir. Depuis le début, je voulais partir.
L’examinateur : – Vous avez dû laisser vos deux enfants derrière vous. C’était une décision difficile ?
Malika : – J’avais pas le choix. Il fallait partir. Autrement, j’allais mourir.
L’examinateur : – Vous avez des nouvelles des enfants ?
Malika : – Un peu. Je parle avec ma mère. Ils vont bien.
L’examinateur : – Vous venez d’avoir un nouveau bébé. Le papa, vous l’aimez ?
Malika : – Oh oui ! Il est très gentil.
L’examinateur : – C’est vous qui l’avez choisi ? Comment l’avez-vous rencontré ?
Malika : – On s’est rencontrés dans un camp en Italie, on s’est aimés tout de suite.
Les examinateurs, en duo : – On va préparer une lettre que vous donnerez à votre avocat. Il faudrait qu’il change ses arguments pour mieux vous défendre. Votre mari vous aimait et n’a jamais voulu vous faire vraiment de mal. Vous n’êtes pas partie à cause des violences. Depuis le premier jour, vous lui avez dit que vous ne l’aimiez pas, vous avez refusé de laver son linge, c’est très symbolique, et vous avez refusé de lui donner des enfants en espérant être répudiée, c’est le plus important.
Malika : – Mais qu’est-ce qu’il faut dire au tribunal ?
L’examinateur : – Dites la vérité. Mon mari n’était pas méchant mais je ne voulais pas vivre comme une esclave, je voulais être libre.
L’examinatrice : – Vous ne vouliez pas être violée chaque jour, vous ne vouliez pas être obligée de faire des enfants, vous ne vouliez pas être l’esclave de votre belle-famille.
L’examinateur : – Vous êtes venue en bateau par la Libye ?
Malika : – Avec le Zodiac. J’ai eu très peur. Il y a des enfants qui sont tombés dans l’eau. Après, sur le bateau italien, ça allait. Vous croyez que je vais avoir des papiers ?
L’examinatrice : – Avec un peu de chance, la CNDA comprendra que vous ne vouliez pas rester dans l’esclavage.
Weekly reception 8. Malika.
Same setting. It’s summer. The light is filtered through heavy red curtains. The examiners fan themselves from time to time. A lanky African woman approaches the table. She is dressed in a long black veil that covers her down to her feet. She is wearing flip–flops. Beneath the black veil, another ligt–coloured one encircles her thin face. She is holding an infant to her chest and, from time to time, opens her veil to give it her breast. Malika is from Mauritania.
Malika: – I call the lawyer, but he doesn’t answer. It’s in twelve days, the CNDA* (National Asylum Court), I don’t know what to do.
The examiners in duet: – We need to look at the OFPRA* (French Office for Refugees and Stateless Persons) rejection decision together. (They read). The OFPRA officer did not believe you when you said you had been subjected to a forced marriage. He didn’t believe that your husband was violent. Instead, OFPRA suggests that you left because he took a second wife. OFPRA does’nt believe what you said.
Malika: – But I told the truth!
Man examiner: – When your father told you that you were going to be married to your cousin Soleman, what did you say? How did you react?
Malika: – I didn’t say nothing. A daughter must obey. A girl who doesn’t obey, the family is dishonoured. My marriage was planned since I was 5. My father and my uncle agreed.
Man examiner: – Why didn’t you want to marry your cousin Soleman?
Malika: – I never wanted to. He doesn’t do anything, we just send him out to fetch wood for the kitchen, that’s all. He’s not handsome, I don’t like him, I’ve never liked him.
Man examiner: – Is he older than you?
Malika: – A bit. Ten, twelve years, maybe. He can’t read. He doesn’t know anything, he doesn’t earn any money, the other cousins do business, he doesn’t do anything, he’s just there doing nothing, it’s the others who make the money.
Man examiner: – Before you got married, did you go to school?
Malika: – Yes, I finished primary school. After that, I wanted to study to be a nurse or care assistant.
Man examiner: – Didn’t your husband allow you to continue?
Malika: – When you get married, you leave school. But he’s not in charge, his mum is. She hates me.
Woman examiner: – At OFPRA, you were asked to describe the wedding ceremony and what happened afterwards. You gave no answer.
Malika: – There was no ceremony. They washed me, dressed me and put a white cloth over my face, over my eyes, I couldn’t see a thing. Then I was pushed into a little house I didn’t know. There was only one room. We were locked in. The two of us together. We weren’t allowed out. There’s an old woman watching. She leaves the food outside the door. We only get out when there’s a bloodstain on the white linen.
Woman examiner: – Was your husband brutal?
Malika: – He wasn’t brutal, he didn’t want to hurt me. He loved me, but I don’t love him. I told him from the start. Every time he came near me on the bed, I got up and went to another corner.
Woman examiner: – What happens if the fabric isn’t red?
Malika: – It’s dishonour. After eight days, some women come into the room and tie hands and feet of the girl to the bed. Like this (she spreads her arms), the legs are spread, so they cut you with a razor. (The two examiners look at each other. Long silence.)
Woman examiner: – Did you go through this?
Malika: – No, after five days, we did it. We both decided. So as not to be dishonoured.
Man examiner (in a muffled voice): –And then what? OFPRA asked you what happened afterwards and you didn’t say.
Malika: – It was difficult to answer. The interpreter was a man, so I couldn’t explain. Afterwards, I went into my husband’s house and he immediately pushed me out of the way and locked me in a room. I wasn’t allowed out for a month. I was never allowed out. Not even in the courtyard. I eat in the room.
Man examiner: – Was he allowed to go out?
Malika: – He comes, he forces me, he goes out. Every day, in the morning and in the evening, whenever he feels like it.
Woman examiner: – You were just a sex object, weren’t you? (Malika doesn’t quite understand. She’s breastfeeding her baby.)
Malika: – Then I got pregnant.
Woman examiner: – The file shows that your first child was born 10 months after your marriage and the second several years later. 2010 and 2016. That’s six years. That’s a long time. Were you on the pill?
Malika: – There’nt no pills in the village. An old woman provided me a soup. I took the soup every night before going to bed. It was hidden under the bed.
Woman examiner: – Have you had any miscarriages? (Silence. Malika doesn’t quite understand.) Have you lost a baby when you were expecting?
Malika: – No, nothing special… Once.
Man examiner: – At OFPRA, you said that your husband was violent with you, that he beat you. They found your answers vague and confused. He beat you? How did that work?
Malika: – There were always arguments. I had to fetch 3 buckets of water for my husband’s mother and also for his two sisters. I said yes for the mum, it was a must, but no to the sisters. I said I would never wash my husband’s laundry. I’d never do it! So his mum said to my husband “you’ve got to straighten her out”. He beat me a bit, but it didn’t hurt too much. One day, he found the soup pot under the bed. That’s when he really beat me, hard and in front of everyone. He tied me up like this and hit me with a big rope. Like this! (She shows her shoulders, back and thighs).
Woman examiner: – Why didn’t you want children?
Malika : – For repudiation. If you don’t have children, your husband will repudiate you. It’s the only way to get out. But after he saw the soup under the bed, I was locked up for a whole month, I was ill, he forced me every day by beating me and then I got pregnant.
Woman examiner: – Did you like anyone else?
Malika: – Yes, a little, a little, there was a boy, we saw each other at the market, he was sending me messages and photos on Facebook.
Man examiner: – Did you decide to run away because of this young man?
Malika: – No, later, later. (She laughs). It was when my husband took a second wife. I wasn’t jealous, I just wanted to leave. I wanted to leave from the start.
Man examiner: – You had to leave your two children behind. Was that a difficult decision?
Malika: – I had no choice. I had to leave. Otherwise, I am going to die.
Man examiner: – Have you heard anything about the children ?
Malika: – A bit. I’m talking to my mother. They’re ok.
Man examiner: – You’ve just had a new baby. Do you like its dad?
Malika: – Oh yes, he’s very nice.
Man examiner: – Did you choose him? How did you meet him?
Malika: – We met in a camp in Italy and fell in love straight away.
The examiners, in duet: – We’re going to prepare a letter for you to give to your lawyer. He needs to change his arguments to defend you better. Your husband loved you and never really wanted to hurt you. Violence is not why you left. From day one, you told him that you didn’t love him, you refused to wash his clothes – that’s very symbolic – and you refused to give him children in the hope of being repudiated – that’s the most important thing.
Malika: – But what do you tell the court?
Man examiner: – Tell the truth. My husband wasn’t a bad man, but I didn’t want to live like a slave, I wanted to be free.
Woman examiner: – You didn’t want to be raped every day, you didn’t want to be forced to have children, you didn’t want to be your in–laws’ slave.
Man examiner: – You came by boat from Libya?
Malika: – The Zodiac. I was very scared. Some children fell in the water. After that, it was fine on the Italian boat. Do you think I’ll get permit?
Woman examiner: – With a bit of luck, the court will understand that you didn’t want to remain in slavery.
First published August 2022.
This is not a wall
published on : May 21, 2025
[English below]
CECI N’EST PAS UN MUR. La chose tient de la Grande Muraille de Chine, de l’enceinte d’une villa dans la jungle, du jeu de Lego. Il est devenu un terrain de jeu pour street-artist.
THIS IS NOT A WALL. It’s something like the Great Wall of China, the walls of a villa in the jungle, or a Lego game. It has become a playground for street artists.
First published in 2021. New edition.
From my window
published on : April 1, 2025



De ma fenêtre
Les premières photos de mes fenêtres datent du début du confinement, avril 2020, qui fut aussi le début de l’aventure collective de The Crown Letter. Cinq ans ont passé. Des centaines d’événements ont été qualifiés d’historiques. L’histoire en retiendra-t-elle quelque chose ? Vu de ma fenêtre, le ciel paraît aujourd’hui gros de nuages très noirs. Des calamités en tout genre s’annoncent. En remontant le temps, cette page témoigne d’événements dont certains seront peut-être jugés mineurs mais qui m’ont personnellement touchée voire bouleversée, parmi eux le grand enfermement du Covid, le soulèvement démocratique des Biélorusses, la persécution de Julian Assange, la condamnation à 15 ans de détention à régime sévère d’un ami russe militant de la mémoire des victimes du stalinisme, Iouri Dmitrievitch, les centaines de milliers d’exilés venus frapper aux portes barricadées de notre continent, le basculement de l’Argentine dans l’ère de la tronçonneuse, l’agression militaire de l’Ukraine et, pire que cette guerre menée par un empire sur le déclin, l’anéantissement méthodique de tout le peuple palestinien par un État se proclamant juif qui m’est familier depuis l’enfance pour avoir incarné l’idéal de beaucoup de mes proches et m’inspire aujourd’hui une horreur mêlée de honte.
Cette page témoigne de ma petite histoire percutée par la grande. Je n’ai cessé de regardé au dehors. La restauration complète de la façade sur cour sera bientôt achevée. Douze étages de 30 mètres de large représentent une surface conséquente que je n’ai pas calculée. Les ouvriers sont tous originaires du Maghreb ou d’Afrique francophone. Ils ont beaucoup peiné cet hiver sur leur échafaudage exposé au vent glacial. Le printemps est enfin arrivé et le ramadan a fini dimanche. Cet après-midi, je leur ai servi un café chaud et bien sucré. Ils ont souri comme si le monde tournait rond.
From my window
The first photos of my windows date from the beginning of the lock-down, April 2020, which was also the beginning of the collective adventure of The Crown Letter. Five years have passed. Hundreds of events have been named as historic. Will history remember anything of it?
Seen from my window, the sky today looks heavy with dark clouds. Calamities of all kinds are on the horizon.
Turning back time, this page bears witness to events, some of which may be considered minor, but which have touched me personally, even shaken me, including the great lockdown of Covid, the democratic uprising in Belarus, the persecution of Julian Assange and the sentencing to 15 years’ harsh imprisonment of a Russian friend and campaigner for the memory of the victims of Stalinism, Yuri Dmitrievich, the hundreds of thousands of exiles who have come to knock on the barricaded doors of our continent, the tipping of Argentina into the era of the chainsaw, the military aggression against Ukraine. And, worse than this war waged by an empire in decline, the methodical annihilation of the entire Palestinian people by a state proclaiming itself to be Jewish, this state having been familiar to me since childhood, having embodied the ideals of many of my relatives, and which today fills me with a horror mingled with shame.
This page bears witness to my own little history, in collisions with the large. I’ve never stopped looking outside.
The complete restoration of our courtyard façade will soon be complete. Twelve 30 metre wide storeys represent a substantial surface area, of which I haven’t calculated. The workers are all from North Africa or French-speaking Africa. They struggled a lot this winter on their scaffolding exposed to the icy wind. Spring has finally arrived and Ramadan ended last Sunday. This afternoon, I served them a hot, sweet coffee. They smiled as if the world were turning round.
Does seeing make a difference ?
published on : February 10, 2025
[English below]
Le choc des images ?
Printemps 1945. L’armée américaine force les civils allemands à défiler devant des milliers de cadavres suppliciés. Les soldats veillent à ce que les vaincus constatent de leurs propres yeux les crimes dont ils prétendent n’avoir jamais rien su. Les files sont interminables. On passe la mine fermée, la tête basse. On se bouche le nez, on tente de se cacher le visage, on se retient de vomir. Ni cris d’effroi, ni larmes, le silence est terrible. Il n’y a là que des vieillards, des femmes et des enfants. Les hommes et les adolescents sont tous prisonniers de guerre. Quelques semaines plus tard, l’armée d’occupation organise partout dans les villes, les villages et les camps de prisonniers des séances de cinéma obligatoires. On montre à l’écran des monceaux de corps décharnés retournés par des pelleteuses. La salle, où veillent des sentinelles américaines, reste assez éclairée pour surveiller les spectateurs qui tentent de se boucher les yeux. Le commentaire détaille des atrocités inouïes. Les Américains espèrent par cet électrochoc extirper le venin nazi de millions de cervelles.
La suite a démontré leur naïveté. Ce genre de venin n’est guère sensible aux images.
Les quinze mois qui viennent de s’écouler à Gaza nous ont montré que, même diffusées en direct, les images n’empêchent plus rien.
Does seeing make a difference?
Spring 1945. The American army forced German civilians to march past thousands of tortured corpses. The soldiers made sure that the defeated saw with their own eyes the crimes they claimed to have never known about. The queues were endless. People walked past with their faces closed and their heads down. They held their noses, tried to hide their faces and held back from vomiting. No cries of horror, no tears, the silence was dreadful. There were only old people, women and children. The men and teenagers were prisoners of war. A few weeks later, the occupying army organized compulsory cinema screenings throughout the towns, villages and prison camps. The screen showed piles of corpses turned over by diggers. The theatre, manned by American sentries, remained bright enough to keep an eye on the spectators, who tried to cover their eyes. The commentary detailed unimaginable atrocities. The Americans hoped this electroshock would extract the Nazi venom from millions of brains.
They proved to be naive. This kind of venom is hardly affected by images.
The last fifteen months in Gaza have shown us that, even when broadcast live, images no longer prevent anything.
Marketing Hope
published on : January 7, 2025
Beware of security / Gare à la sécurité
published on : November 24, 2024
[English translation below]
Gare à la sécurité. C’est une pièce à deux faces, voire trois.
Côté pile. Quel beau programme ! Sécurité sociale universelle. Car de l’insécurité, je, tu, il, elle souffre et souvent meurt. La femme, l’enfant, l’infirme, l’ouvrier, l’immigrant, le civil exposé à la terreur qui tue, affame, empoisonne, ensevelit, tous réclament la sécurité. Tous ont soif de sécurité. Personne ne peut se coucher avec la certitude qu’il sera vivant demain, écrit un chroniqueur de Gaza.
Côté face. La citadelle assiégée ou son modèle réduit, la villa dans la jungle a pour premier, second et troisième souci leur propre sécurité. La villa exige de hauts grillages, jamais assez hauts. Mieux, elle doit dissuader les assaillants qui se dissimulent parmi les fourrés et les hautes branches. La sécurité des uns exige la mise en cage des autres, voire leur extermination. En hébreu, « sécurité » se dit « bitakhon ». « Barrière de sécurité » se dit en arabe « mur de l’apartheid ». A mes oreilles, les trois syllabes bi-ta-khon crachées par un bonhomme vert dans un mégaphone sonnent comme l’ouverture de la chasse.
La sécurité pour tous, grands et petits, porte un nom, la paix dans le droit, dans la justice. Cette paix-là, le fort l’écarte avec dédain. Il n’aura jamais assez de garanties, d’assurances, dit-il. Le vrai : il n’entend pas donner de garanties au faible. Pas question de poser des bornes à sa puissance. « J’ai bien le droit », dit-il, au mépris du droit.
La sécurité des uns n’est pas celle des autres. Étendard de la réaction. Tenants de l’ordre établi contre subversifs. Sécurité des investissements, sécurité du propriétaire, sécurité des institutions. Caméras de sécurité, agents de sécurité, prisons de haute sécurité, forces de l’ordre, murailles et barbelés, patrouilles en mer. A ce jeu, le dictateur a toujours une longueur d’avance. Il fait mieux qu’assurer la sécurité, il l’impose. A son bénéfice exclusif.
Il y aurait une fois. Sécurité de la rue qu’on emprunte à la nuit tombée, de la route qu’on traverse, de ce qu’on mange, boit, respire. Sécurité de la terre nourricière. Sécurité pour ceux qui ont soif, qui ont faim, qui vivent dans des logements insalubres ou pas de logement du tout, qui traversent les mers et les continents.
Et puis la sécurité des paroles que l’on confie, des bras où l’on se blottit.
Beware of security. It’s a two-sided, or even a three-sided coin.
Tails side. What a great programme! Universal social security. Because of insecurity, I, you, he, she suffers and often dies. Women, children, the disabled, workers, immigrants, civilians exposed to the terror that kills, starves, poisons and buries – they all want security. They all thirst for security. No one can go to bed with the certainty that they will be alive in the morning’, writes a Gaza columnist.
The opposite side. The first, second and third concern of the besieged citadel or its reduced model, the villa in the jungle, is its own safety. The villa requires high fences, never high enough. Better yet, it must dissuade attackers who hide among the thickets and high branches. The security of some requires the caging of others, even their extermination. In Hebrew, ‘security’ is called ‘bitakhon’. ‘Security fence’ is Arabic for “apartheid wall”. To my ears, the three syllables bi-ta-khon shouted by a green man into a megaphone sound like the opening of the hunt.
Security for all, young and old, has a name: peace based on law and justice. The strong dismiss this peace with disdain. He’ll never have enough guarantees, enough assurances, he says. The truth is that he has no intention of giving guarantees to the weak. There is no intention of placing limits on his power. ‘I have the right’, he says, in defiance of the law.
The security of some is not the security of others. Standard of reaction. Defenders of the established order versus the subversive. Investment security, owner security, institutional security. Security cameras, security guards, high-security prisons, forces of law and order, walls and barbed wire, patrols at sea. At this game, the dictator is always one step ahead. He does more than ensure security, he imposes it. To his exclusive benefit.
There would be a time. Security of the street you walk down at nightfall, of the road you cross, of what you eat, drink and breathe. Security in the soil that nourishes us all. Security for those who are thirsty, hungry, living in substandard housing or no housing at all, for those who cross seas and continents.
And then the security of the words we confide, the arms in which we cuddle.
Gare à la sécurité. C’est une pièce à deux faces, voire trois.
Côté pile. Quel beau programme ! Sécurité sociale universelle. Car de l’insécurité, je, tu, il, elle souffre et souvent meurt. La femme, l’enfant, l’infirme, l’ouvrier, l’immigrant, le civil exposé à la terreur qui tue, affame, empoisonne, ensevelit, tous réclament la sécurité. Tous ont soif de sécurité. Personne ne peut se coucher avec la certitude qu’il sera vivant demain, écrit un chroniqueur de Gaza.
Côté face. La citadelle assiégée ou son modèle réduit, la villa dans la jungle a pour premier, second et troisième souci leur propre sécurité. La villa exige de hauts grillages, jamais assez hauts. Mieux, elle doit dissuader les assaillants qui se dissimulent parmi les fourrés et les hautes branches. La sécurité des uns exige la mise en cage des autres, voire leur extermination. En hébreu, « sécurité » se dit « bitakhon ». « Barrière de sécurité » se dit en arabe « mur de l’apartheid ». A mes oreilles, les trois syllabes bi-ta-khon crachées par un bonhomme vert dans un mégaphone sonnent comme l’ouverture de la chasse.
La sécurité pour tous, grands et petits, porte un nom, la paix dans le droit, dans la justice. Cette paix-là, le fort l’écarte avec dédain. Il n’aura jamais assez de garanties, d’assurances, dit-il. Le vrai : il n’entend pas donner de garanties au faible. Pas question de poser des bornes à sa puissance. « J’ai bien le droit », dit-il, au mépris du droit.
La sécurité des uns n’est pas celle des autres. Étendard de la réaction. Tenants de l’ordre établi contre subversifs. Sécurité des investissements, sécurité du propriétaire, sécurité des institutions. Caméras de sécurité, agents de sécurité, prisons de haute sécurité, forces de l’ordre, murailles et barbelés, patrouilles en mer. A ce jeu, le dictateur a toujours une longueur d’avance. Il fait mieux qu’assurer la sécurité, il l’impose. A son bénéfice exclusif.
Il y aurait une fois. Sécurité de la rue qu’on emprunte à la nuit tombée, de la route qu’on traverse, de ce qu’on mange, boit, respire. Sécurité de la terre nourricière. Sécurité pour ceux qui ont soif, qui ont faim, qui vivent dans des logements insalubres ou pas de logement du tout, qui traversent les mers et les continents.
Et puis la sécurité des paroles que l’on confie, des bras où l’on se blottit.
Biography
Anne Brunswic is a French author whose work encompasses various forms of expression: journalism, non-fiction literature, documentary film, radio creative production and photography. She spent a long time in the occupied territories of Palestine, in Siberia and the far north of Russia. She has a long-standing commitment to the voiceless and the rightsless. Just published “Women in gulag” in Kometa review. Online now a 5 episodes podcast on Radio Suisse romande, Histoire vivante (in French) about the unknown Argentine soldiers of Falklands/Malvinas war. annebrunswic.fr