STOP INVASION OF UKRAINE May 31 to June 7

Alisa Berger

John Object

Catherine Radosa

Plantes résistantes II (Resistant plants II)

Manuela Morgaine

Female – Male – FeMale: L’érotisme de la nature comme antidote à la barbarie. Las Palmas, May 28, 2022.



Dettie Flynn

Feuilleton of spinning swinging wishing Girls XXX
jardin à la française

Liveful performance with camera 1min.

Anne Dubos

« meandres, Gien, May 2022 »

Aurelia Mihai

Fără Materie I (Without Matter I / Sans Matière I / Ohne Materie I )

Anne Brunswic

Hélène Cuenat (1930-2022)

Libre

Celle que nous avons portée en terre mercredi dernier au cimetière de Montmartre avait perdu la mémoire depuis longtemps. Elle ne reconnaissait plus les visages familiers. Peut-être se rappelait-elle confusément qui elle avait été, Hélène Cuenat. Dans le caveau reposait déjà sa fille Michèle. Un drapeau algérien glissé sur le cercueil a d’un coup réveillé les souvenirs. On enterrait en toute discrétion une communiste française héroïne de la guerre d’indépendance algérienne. Des collègues et camarades sidérurgistes algériens, des collègues et camarades français du Conservatoire des Arts et métiers, une poignée de proches ont prononcé quelques mots sobres, pudiques.

La rencontre avec Jeanson. Elle était arrivée en retard. Elle s’était perdue rue du Cherche-Midi. Rue du Cherche-Midi, on se perd, on se trouve. Qu’est-ce qu’il me trouve ? Je ne suis rien, un trou. On a de faux papiers, on change de planques, on est en 1957 ou en 1942 ? Les flics torturent au commissariat du 13eme, comme sous l’Occupation. « Ici, on tue les Algériens. »

Elle compte les billets, les fourre dans une valise, planque la valise. Quelqu’un doit venir la prendre, l’emporter en Suisse. Elle le reconnaîtra. La vitre de la clinique est opaque, et si c’était un piège ? Jeanson est là mais absent, insaisissable, sauf quand il est en moi. M’a-t-il aimée ? Comme d’autres, ni plus, ni moins. Il aimait la vie. J’ai aimé à en mourir.  La mort n’éblouit pas les yeux des partisans.  J’aurais dû naître dix ans plus tôt.

Le tribunal militaire est rue du Cherche-midi, midi toujours introuvable au cadran de la vie. Hélène plaide coupable. Un prisonnier politique plaide toujours coupable. Septembre 1960, on juge le réseau Jeanson en l’absence de son chef, en fuite. Dans les bras d’une autre, forcément. Hélène a la parole, elle lit un texte de lui. Piteuse. Elle s’en tire avec dix ans de prison ferme. Français et Algériens, pour une fois dans le même box, s’embrassent. Sans Francis, qui suis-je ? Où serais-je à cette heure ? Perdue dans une salle de classe glaciale, petite prof de français s’égosillant devant des apprentis tourneurs. Mais je serais avec ma fille qui m’attend, qui m’attendra encore longtemps.

Elle marche sur des tessons de verre. Ses pieds saignent. Elle court sur la crête du mur d’enceinte, sous les feux croisés des projecteurs de la prison et des réverbères de la rue de la Roquette. Quatre mètres au-dessous, c’est Paris. Depuis un an, elle regarde les immeubles d’en face à travers les barreaux. 24 avril 1961, cette date, elle ne peut l’oublier, c’est sa deuxième naissance. 

Deux copines la suivent. Les trois à l’arrière ont disparu dans l’obscurité de la cour. Elle a aperçu Didar faisant un geste qui disait “trop risqué, nous, on remonte dans nos cellules”. Tant pis. Elles ont poursuivi leur cavale à trois. Hélène n’avait pas compris le geste, c’était “attendez-nous”. Par chance, les trois autres se sont débrouillées de leur côté. Et si elles avaient échoué ? Ça s’appelle un abandon, Hélène veut toujours appeler les choses par leur nom, un abandon, mais les mots s’échappent les uns après les autres.

Michèle entre par une porte latérale, la porte verte. Toute endimanchée. On ne lui a pas dit « ta maman est en prison ». L’enfant fait comme si elle ne savait pas. La bonne sœur en cornette la prend par la main. Nous sommes dans un grand bureau vide, pas dans un parloir, j’en suis sûre, il n’y a pas de vitre entre nous, elle est sur mes genoux, je lui ai fait une poupée, une copine s’est coupé une mèche de cheveux, je l’ai collée de travers, la poupée est un peu ratée mais Michèle applaudit, ma fille comprend tout. Plus tard, elle m’a comprise. Elle mourait, je lui tenais la main, nous nous comprenions. La liberté, ceux qui ne comprennent pas ça… A bout de souffle. La liberté se paie cher quand on est une femme. Hélène ne regarde pas à la dépense. Elle ne pouvait pas faire autrement. C’est ce qu’elle répond quand on lui demande pourquoi. Pourquoi le divorce, pourquoi les amants, pourquoi la clandestinité, pourquoi la prison, pourquoi l’évasion. Je ne pouvais pas ne pas…

Et pourquoi l’Algérie ? Parce qu’il fallait montrer aux Algériens un autre visage de la France, fraternel. Parce qu’il fallait montrer l’exemple aux Français, nul n’est obligé d’être un salaud. Parce qu’il fallait se projeter au-delà de la guerre, après. Quand tout sera fini, plus tard… Par amour de la France, de 1789, de Stendhal. Hélène s’embrouille. Elle a aimé l’Algérie d’après 1962, libre, égale, fraternelle, l’Algérie debout. Où sont-ils les frères d’autrefois, ceux à qui l’on procurait planques et faux-papiers ? Sous la terre de France ? Sous le sable d’Algérie ? Honorés ? Oubliés ? Mes sœurs de la Petite Roquette sont à côté de moi, toutes, même si j’ai oublié leurs noms.

Dans La Porte verte (éditions Bouchêne), un livre publié en 2001, quarante ans après l’évasion, Hélène Cuenat écrit :

« Il n’y avait parmi nous ni homme, ni femme autoritaire : le projet aurait échoué. Dans un espace aussi restreint, hors de la vie sociale instituée, celle qui se serait arrogé un pouvoir de chef n’aurait pas été acceptée, devenant immanquablement source de conflit et d’échec. Nous avons fonctionné en prenant à chaque pas  l’accord des autres, une autre, deux autres, toutes les autres […]. Un chef impose, initie, force le passage, il n’y a pas eu de chef parmi nous. Heureusement que le projet a réussi sinon nous aurions lamentablement fait la preuve, qui arrange presque tout le monde, que sans chef, on ne peut pas réussir. » (page 138).